HOMELIES
HOMELIE 28 mai
2015 – Mc 10, 16-52 – Journée Fédérale
Bartimée est un
prodige. Mais il est d’abord un exclu. Il ne connaît pas les honneurs de la vie
sociale : assis sur le bord du chemin, il est marginalisé. Aveugle, il vit à
l’écart de tous, son cœur est son seul instructeur, son seul guide.
Aveugle mais pas muet ! Bartimée a de la voix. Et de
l’oreille. Quand il entend Jésus passer, il crie vers lui, il implore sa pitié
avec tant de conviction qu’on cherche à le faire taire. Mais lui qui doit
compter en tout sur les autres comprend qu’il n’est plus l’heure de s’en
remettre aux autres, il n’est plus l’heure de se laisser faire. Son cœur le guide.
Il appelle de plus belle.
Jésus entend son cri. Évidemment. Qui ne l’entend pas ?
Cependant l’attitude de Jésus n’est pas habituelle. Il pourrait par exemple
aller vers lui, il pourrait aussi demander qu’on lui amène Bartimée, il
pourrait encore appeler l’infirme à lui.
Mais Jésus ne fait pas que guérir, il enseigne. Il
éduque. La foule qui faisait rempart doit à présent faire corps. Le rabbi
choisit ceux dont dépendait cet homme jusqu’à aujourd’hui, ceux dont ils
voulaient le séparer. Il les envoie vers Bartimée pour les associer à sa
guérison en lui permettant de prendre la parole, en lui donnant de dire son désir
de guérison. « Confiance, lève-toi, il t’appelle ».
Alors Bartimée s’élance. Cette invitation lui suffit,
elle est le signal que reconnaît son cœur. Sa souffrance et sa solitude ont été
ses éducatrices, nul besoin d’un « va, vends tout ce que tu as » : il jette son
manteau. Il renonce à ce qui faisait son identité. Il abandonne sa carapace,
ses protections, ce qui l’abritait du froid de la nuit et du regard des hommes.
Il se montre vulnérable et marche, lui l’aveugle, vers Jésus.
Cet élan ne peut que toucher le Seigneur. Mais Jésus
entend qu’il recouvre pleinement sa dignité. Il lui demande donc d’exprimer ce
qu’il souhaite. « Seigneur que je voie ! » D’une voix assurée, on l’a vu,
debout, sans assistant, sans protection, il ne s’appuie que sur la parole de
Jésus. Elle dirige sa marche, elle contient son espérance, elle opère sa
guérison.
L’homme, debout et parlant, est donc sauvé par la foi
qu’il a mise en Jésus.
« Va », sa dignité et sa liberté lui sont rendues. Mais Bartimée est tout à son action de grâce. Il choisit aussitôt d’employer sa liberté recouvrée en fonction du maître. Il suit Jésus.
« Va », sa dignité et sa liberté lui sont rendues. Mais Bartimée est tout à son action de grâce. Il choisit aussitôt d’employer sa liberté recouvrée en fonction du maître. Il suit Jésus.
Il ne suffit donc pas de voir : il faut encore « suivre
», marcher sur le chemin où Jésus nous précède. Sans la foi, nous ne pouvons
diriger nos pas, et nous demeurons comme l’aveugle, « assis au bord de la route
». Mais une foi qui ne se met pas concrètement à la suite de Jésus, est une foi
morte.
Les yeux de la foi nous permettent de reconnaître le Christ, et les pieds de l’espérance nous permettent de marcher à sa suite, dans la force que nous donne la charité. Mais les trois, la foi, l’espérance et la charité, ne s’obtiennent qu’en réponse à la prière persévérante du cœur humble qui met tout son espoir en Dieu et ne se lasse pas de crier : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! ».
Les yeux de la foi nous permettent de reconnaître le Christ, et les pieds de l’espérance nous permettent de marcher à sa suite, dans la force que nous donne la charité. Mais les trois, la foi, l’espérance et la charité, ne s’obtiennent qu’en réponse à la prière persévérante du cœur humble qui met tout son espoir en Dieu et ne se lasse pas de crier : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! ».
Aussi, cette prière aspirative devrait habiter
continuellement notre cœur, la murmurant sans cesse, non pas comme une formule
magique, mais comme l’aveu insistant de notre impuissance, la protestation de
notre besoin vital de la présence tout près de nous de notre Seigneur, la
confession ininterrompue de notre amour.
Quand j’entends donc avec
vous ce passage dans l’Evangile de Marc (10, 46-52), je pense que nous portons
peut être aussi le manteau de Bartimée et que nous avons ainsi des traits de
ses limites, mais aussi de son attitude positive.
Jésus s’est présenté aussi au
cours de notre cheminement, dans notre recherche d’une vie valeureuse. Il nous
demande de Lui appeler, de Lui crier même, de faire des aspirations
authentiques. Alors, Il a le pouvoir de nous aider de voir clair dans notre
château intérieur, de libérer les mouvements et les désirs de notre cœur, de
notre vrai « moi ». Sa seule présence dans notre oraison mentale
purifie même ces désirs. Alors nous recevons la grâce, certainement à
l’occasion de ce Centenaire Thérésienne et cette Année de Vie Consacrée, non
seulement de voir plus clair, mais aussi de suivre le bon Jésus avec
détermination et d’être sûr de son amour avec une confiance renouvelée !
Thérèse d’Avila dans son « cheminement » en a eu l’expérience
vécue !
HOMELIE Lc 11, 27-28
Heureuse la mère qui t’a porté dans ses entrailles, et
qui t’a nourri de lait ! »
C’est une femme qui parle. Elle sait donc de quoi elle
parle... A travers ces mots, c’est toute sa féminité qui s’exprime dans un cri
d’admiration et peut-être même un peu d’envie envers celle qui a eu cette grâce
de porter, d’enfanter et de nourrir le Messie.
Résonne alors la voix de Jésus : « Heureux plutôt ceux
qui entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique ». Parole inattendue,
déconcertante même. Pourtant les mots de cette femme n’étaient-ils pas un bel
hommage rendu à la Vierge Marie, la Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ
? Jésus n’accorderait-il aucune importance à la maternité de sa mère ?
Bien au contraire. En recentrant cette femme sur ce qui constitue la véritable béatitude, il lui révèle en quoi consiste l’essence de la maternité de Marie, mettant celle-ci encore plus en valeur.
Bien au contraire. En recentrant cette femme sur ce qui constitue la véritable béatitude, il lui révèle en quoi consiste l’essence de la maternité de Marie, mettant celle-ci encore plus en valeur.
Marie est celle qui par excellence a écouté dans une
profonde humilité la Parole du Père et lui a obéi dans une confiance et un
abandon total : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta
parole » (Lc 1, 38). C’est bien parce que Marie a d’abord écouté la Parole et
lui a obéi qu’elle a pu la porter en elle et l’enfanter. Sa maternité découle
de cette écoute humble et obéissante. Voilà en quoi réside réellement sa
béatitude. Voilà pourquoi « désormais toutes les générations la proclameront
bienheureuse » (Lc 1, 48) !
Jésus ne récuse pas cette exclamation, mais il veut nous
conduire à la foi qui procure le bonheur même de Marie ; un bonheur qui ne
vient pas de ce qu’elle est la mère du Seigneur mais de ce qu’elle s’est
conformée en toute chose à la parole de Dieu. Là est l’origine de son bonheur,
exceptionnel.
Ainsi, le Seigneur nous invite à dépasser les affections
spontanées pour rechercher celles qui accompagnent le travail de l’intelligence
dûment orienté. « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu, et qui
la gardent ! ». Le travail d’intelligence de l’Écriture qui conduit à cette
béatitude est le préliminaire indispensable à la conformation de notre volonté
et de notre agir aux préceptes divins.
Que celle dont le bonheur fait la joie de Dieu nous
apprenne à garder dans notre cœur la Parole qui donne la vie !
« Marie, Vierge Sainte, comme les Apôtres au Cénacle,
nous venons prendre refuge dans ton Cœur, pour nous y mettre avec toi à
l’écoute des Ecritures. Merci de t’unir à notre prière, afin que l’Esprit
descende sur nous pour une nouvelle Pentecôte d’amour. Nous pourrons alors
“chercher le Seigneur et sa puissance, rechercher sans trêve sa face, chanter
et jouer pour lui, nous glorifiant de son Nom très saint, nous souvenant des
merveilles qu’il a faites, de ses prodiges, des jugements qu’il prononça” (Ps
104) ; et témoigner par nos vies renouvelées, de la vérité de l’Evangile. »
« Seigneur, fais-nous la grâce en ce jour d’être
renouvelés dans notre écoute de ta Parole. Libère-nous de tout ce qui pourrait
faire obstacle en nous à sa réception. Qu’elle puisse s’enfouir au plus profond
de la terre de notre humanité où nous la garderons comme le bien le plus
précieux dont nous disposions. Alors elle opèrera en nous son œuvre de
conversion. Transformés par elle, nous pourrons alors l’annoncer en vérité et
l’enfanter dans d’autres cœurs. »
HOMELIE Lc 11, 15-26
Jésus vient de rendre la parole à un
muet en chassant un démon. Mais cette œuvre de miséricorde suscite la division.
« Les foules étaient dans l’admiration », alors que les adversaires du
Seigneur, jaloux de son ascendant sur le peuple, refusent de reconnaître qu’un
exorcisme puisse être un signe messianique. A nouveau surgit la question : par
quelle autorité agit ce Rabbi hors du commun ? Pour la foule, il manifeste par
ses œuvres qu’il est envoyé de Dieu ; pour les autres rien n’est moins sûr : sa
puissance ne viendrait pas « d’en-haut », mais « d’en bas » : c’est de «
Béelzéboul, le chef des démons », qu’il tiendrait son pouvoir. Et s’il prétend
le contraire, eh bien qu’il le prouve : qu’il donne « un signe venant du ciel »
confirmant ses prétentions.
Quand les passions se déchaînent, le
bon sens prend congé. Jésus n’a aucune peine à montrer la contradiction interne
de l’argumentation : depuis quand Béelzéboul s’attaquerait-il à son propre
Royaume ? D’autant plus que d’autres avant Jésus ont accompli des exorcismes :
la tradition juive exerçait ce ministère en utilisant des prières et des
rituels sensés remonter à Salomon. Ce n’est pas le fait de chasser un démon qui
constitue un signe messianique, mais bien la manière de prendre autorité sur
l’esprit du mal. C’est en effet « par le doigt de Dieu », c'est-à-dire par une
intervention immédiate du Très-Haut, que le démon a été chassé et que la parole
a été rendue à cet homme. En affirmant que c’est « par le doigt de Dieu qu’il
expulse les démons », Jésus s’identifie au Dabar divin, à la Parole agissante
du Tout-Puissant, intervenant dans le cours de l’histoire pour y instaurer « le
Règne de Dieu ».
L’annonce est solennelle et se
poursuit en termes de victoire militaire : le pouvoir de l’Ennemi est arrivé à
son terme ; « un plus fort » est venu pour le vaincre, le dépouiller et le
jeter dehors. Dans ce combat eschatologique, qui a commencé au désert et
culminera sur la croix, chacun est appelé à se positionner. Impossible de
garder une soi-disant neutralité : « Celui qui n’est pas avec moi est contre
moi » ; celui qui ne participe pas à l’œuvre de rassemblement en vue du Royaume
commencée par Jésus, poursuit l’œuvre de destruction et de dispersion menée par
le Satan.
Un élan passager, un enthousiasme
éphémère ne suffisent pas : celui qui a « balayé et bien rangé » sa demeure
intérieure dans l’élan d’un mouvement de conversion, mais qui n’est pas allé
jusqu’au bout de la démarche en acceptant la seigneurie du Christ, reste en
danger. S’il croit pouvoir continuer une vie tranquille dont il garde la
parfaite maîtrise, il retombera bien vite sous le joug de l’Ennemi ; car
celui-ci demeure à l’affût, et s’apprête à revenir à la charge avec un
supplément de troupes. Seule une appartenance radicale au « plus fort » nous
met en sécurité, à l’abri des assauts de l’adversaire. La seule manière de
chasser les ténèbres de nos vies, c’est de nous ouvrir à la lumière du Verbe de
Dieu, et de demeurer dans son rayonnement.
La vie chrétienne n’est décidément pas
de tout repos ; et c’est peut-être pour avoir voulu l’ignorer que tant de
croyants ont fait défection, séduits par les discours mensongers du Prince de
ce monde, qui ne parlent que de facilité, spontanéité, jouissance et autonomie.
Comme des brebis égarées, ils se sont « dispersés » au lieu de se « rassembler
» en réponse à la Parole de Dieu, qui les convoquait en Eglise pour les
fortifier de sa présence. Nous sommes en perpétuel combat spirituel, et
celui-ci exige une vigilance de chaque instant, un entraînement continu, dans
une collaboration proche avec d’autres chrétiens. L’oublier, c’est déjà être
vaincu. C’est en faisant mémoire, jour après jour, des œuvres de salut du
Seigneur dont elle a bénéficié, que l’Église et le Carmel peut garder les yeux
fixés sur son Sauveur. Aussi l’Eucharistie, mémorial de la Rédemption, est-elle
par excellence le lieu de son rassemblement, où elle peut rendre grâce, se
reposer, refaire ses forces et se laisser envoyer dans la puissance de
l’Esprit.
« De tout cœur, Seigneur, je rendrai
grâce, je dirai tes innombrables merveilles (Ps 9) ; car tu m’as délivré de
l’ennemi par ta Parole toute-puissante et tu as fait advenir ton règne dans ma
vie par la force de ton Esprit. Ne permets pas qu’oubliant tes bienfaits, je me
disperse à nouveau dans les distractions de ce monde et que je m’épuise en
quête de vanités éphémères. Affermis ton trône dans ma vie, établis ta seigneurie
sur tout mon être ; prends, Seigneur, et reçois toute ma liberté, ma mémoire,
mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que j'ai et possède ; tu me l'as
donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi : disposes-en selon ta
volonté. Donne-moi seulement ton amour et ta grâce : cela me suffit ».
HOMELIE Jean 1,47-51
La réalité des anges,
créatures spirituelles, est un donné évangélique. La révélation biblique au sujet
des anges s’éclaire progressivement avec celle de Jésus. En lisant
attentivement l’évangile, nous découvrons dans ces créatures non pas des
expressions de la divinité, comme le voudrait un mouvement toujours plus
actuel, mais des créatures au service de Dieu pour notre salut.
Jésus lie en effet
explicitement les anges avec sa Révélation et son Mystère si bien que nous ne
pouvons pas comprendre ce que sont les anges en dehors de notre foi dans le
Christ.
« Vous verrez les cieux
ouverts, avec les anges de Dieu qui montent et descendent au-dessus du Fils de
l’Homme ». A Nathanaël, Jésus se révèle comme le Fils de l’Homme, exprimant
ainsi simultanément - en référence à Daniel 7,13 - sa divinité et son humanité.
La nouveauté de l’Incarnation rédemptrice
réside en ceci que les cieux se sont ouverts, que le Verbe de Dieu qui demeure
dans le sein du Père s’est fait chair, qu’il a planté sa tente parmi nous (Jn
1, 14).
Ce mystère porte son fruit de
vie au matin de Pâques lorsque se réalise notre restauration dans l’amitié
divine annoncée dans le ciel ouvert par Jésus au moment de son Incarnation.
Ce sont les anges qui sont
les premiers à passer à travers cette frontière qui avant Jésus était infranchissable
pour l’homme se révélant ainsi messagers de notre salut accompli dans le Verbe
de Dieu fait chair. De l’Annonciation, en passant par la Nativité, nous les
retrouvons à la Résurrection et ce seront encore eux qui nous annonceront le
retour glorieux de notre Seigneur lorsqu’il « viendra dans sa gloire, et tous
les Anges avec lui, pour siéger sur son trône de gloire » (Mt 25, 31).
Ce salut, les anges nous
aident aussi à l’accueillir en chacune de nos vies. Car s’il a été accompli
dans la mort et la résurrection de notre Seigneur, il demande à être actualisé
en chacun de nous.
Les anges combattent avec
nous, afin que ne prévale pas la logique mortifère de l’antique serpent, tel
qu’il nous est décrit dans le livre de l’Apocalypse et que nous ne tombions pas
dans les embûches insidieuses qu’il nous tend.
Dans ce service de la
réalisation du dessein divin de notre salut, saint Michel, saint Gabriel et
saint Raphaël, que nous fêtons aujourd’hui, tiennent une place toute
particulière. Chaque fois qu’il est besoin d’un déploiement de force, c’est
Michel qui est envoyé à notre secours. Gabriel, quant à lui, nous aide à ne pas
oublier Celui qui est venu comme le Dieu des armées, le vaillant des combats,
pour nous arracher aux ténèbres de la mort et du péché. Et si par malheur
l’Ennemi venait à nous blesser, Raphaël vient nous soigner et nous guérir, tout
comme il le fit pour les yeux de Tobie.
HOMELIE Lc. 9,18-22
Pierre n’est pas un
intellectuel ; il se nourrit davantage des yeux que des discours. Aussi a-t-il
observé plus que les autres, avec le regard pénétrant de l’amour, celui qui a
pris progressivement toute la place dans son cœur et avec lequel il se sent
mystérieusement uni pour le temps et l’éternité. Non, son Maître n’est pas un
Rabbi comme les autres. En lui Dieu c’est fait proche de l’homme, a pris forme
humaine pour nous manifester son amour. Mais comment un pêcheur des bords du
lac de Galilée, ignorant les Ecritures, pourrait-il exprimer un tel mystère ?
Pourtant, devant le regard
insistant de Jésus, Pierre se lance : « Tu
es “l’Oint de Dieu” ; celui qui vient
de la part du Très-Haut et que Lui seul pourrait définir. Je ne saisis sans
doute pas très bien la portée de ce que je dis, bon Jésus, mais je peux
seulement affirmer, avec l’intuition sûre de l’amour, que sur toi repose en
plénitude l’Esprit de sainteté (Is 61, 1). Le Messie, c’est toi : tu es celui
qui instaure le Royaume en réconciliant les hommes avec Dieu ».
La mise en garde de Jésus,
défendant à ses disciples de révéler cette identité avant l’Heure, résonne
comme une confirmation de la confession de foi de Pierre. Et pourtant
paradoxalement, Notre-Seigneur poursuit en révélant pour la première fois sa
fin tragique. Ce n’est en effet qu’au matin de Pâques qu’éclatera au grand jour
la gloire du Fils de l’homme ; avant cela, « il faut » d’abord « qu’il
souffre beaucoup, qu’il soit rejeté et qu’il soit tué ». On imagine sans
peine la perplexité de Pierre, qui à nouveau perd ses repères au moment même où
il croyait commencer à comprendre…
Un jour nous serons invités -
nous aussi - à marcher à la suite du Christ sans plus rien comprendre, et à
nous engager sur le chemin paradoxal de la Croix. Pour pouvoir demeurer fidèle
à l’heure de l’épreuve, il faut nous hâter d’entrer dès à présent dans son
intimité, comme lui-même demeure dans celle de son Père.
C’est au cœur de notre vie carmélitaine
quotidienne que le Bien-Aimé nous pose -
à nous aussi - cette question dont dépend notre salut : « Et toi, qui dis-tu que je suis ? Pour toi, qui suis-je ? »
Saurons-nous voir dans le « Fils de
l’homme » le « Messie de Dieu »
qui nous ouvre les cieux ?
La question centrale est donc
celle de l’identité de Jésus. Elle revêt un poids particulier pendant le procès
de Jésus, elle suscite toutes sortes de prises de position aujourd’hui encore.
Certains sont sensibles aux
signes donnés, d’autres cherchent les miracles, d’autres encore aiment son
enseignement. Mais là n’est pas l’enjeu. Saint Luc précise en effet dans le
premier verset que Jésus priait à l’écart. La prière permet d’agir conformément
à la volonté de Dieu. Jésus ne prie donc pas dans le but d’interroger ses
disciples à propos de l’opinion des foules, mais pour leur révéler le plan de
Dieu, le portrait du messie. Tel est le sens du « il faut ». Il exprime la volonté de Dieu.
Dans cet évangile l’accent
n’est donc pas mis sur l’acte de foi de saint Pierre qui proclame que Jésus est
le messie, mais sur la découverte du visage du messie, qui est celui du
serviteur souffrant. La grandeur de saint Pierre est d’avoir permis cette
révélation. Pierre dit l’attente du peuple, « le Messie », mais il opère un changement de plan : « le Messie de Dieu », celui qui
vient au nom du Seigneur.
Cet acte de foi permet à
Jésus de passer du descendant de David au Fils de l’Homme et de dévoiler que
les chemins de notre libération passent par la souffrance, le rejet et la mort.
Cette révélation s’adresse à nous également. En Irak, Syrie, Nigeria, Soudan
les chrétiens sont même martyrisés ainsi aujourd’hui.
En dévoilant le plan de Dieu,
Jésus montre non seulement qu’il le connaît, mais qu’il est prêt à l’assumer.
Cette révélation nous rejoint comme une question : que ceux qui veulent être
ses disciples en tirent eux-mêmes les conséquences.
Sainte Thérèse-Bénédicte de
la Croix, notre sœur Edith Stein, commentait ainsi: « C'est à travers les souffrances et la Croix que le Fils de l'Homme fut
élevé à la gloire de la Résurrection ; traverser la souffrance et la mort, avec
le Fils de l'Homme, pour atteindre la gloire de la Résurrection, c'est le chemin
ouvert à chacun de nous, à l'humanité tout entière. La foi au Crucifié - la foi vivante qui s'accompagne du sacrifice
d'amour - est pour nous l'entrée dans la vie et le commencement de la gloire à
venir. Aussi la Croix est notre seul et unique titre de fierté ».
HOMELIE Lc 7, 36-50
« Si ses péchés, ses nombreux péchés sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. » Ces paroles de Jésus qui sont au cœur de l’évangile de ce jour peuvent paraître énigmatiques.
La première phrase de l’assertion de
Jésus semble en contradiction avec la seconde. D ’un côté, l’amour obtient le pardon des
péchés. De l’autre, Jésus nous dit que l’on ne peut aimer vraiment tant que
l’on n’a pas expérimenté pour soi le pardon et que la mesure de cet amour est
celle du pardon reçu. Autrement dit, d’un côté, l’amour apparaît comme premier
par rapport au pardon. De l’autre, c’est l’inverse.
Qu’est-ce donc qui est alors premier
? L’amour ou l’expérience d’être pardonné ? Mais peut-être que poser la question
en ces termes n’éclaire en rien les propos de Jésus… Peut-être que pour entrer
davantage dans leur compréhension il nous faut, comme Simon, nous laisser
conduire au rythme de la parabole que Jésus lui raconte.
Celui à qui le Maître a le plus
remis est celui qui lui montre le plus d’amour. Mais le présupposé de cette
parabole, que l’on aurait peut-être trop tendance à laisser dans l’ombre, est
que pour être pardonné, il faut que l’on reconnaisse que l’on a péché et donc
que l’on a besoin de pardon. Autrement dit, faire l’expérience du pardon
implique que l’on ait reconnu, accepté et offert sa pauvreté à Jésus. En effet,
celui qui est riche de lui-même n’a pas besoin de pardon ; parce qu’il n’en
voit pas l’utilité. Du coup, comment pourrait-il exprimer de l’amour vis à vis
de celui dont il pense ne rien avoir à recevoir ? N’est-ce pas là finalement la
difficulté de Simon le pharisien ? Sa confiance un peu trop présomptueuse en sa
justice et sa vertu, qui apparaît dans le jugement qu’il porte sur cette «
pécheresse », ne l’empêche-t-elle pas d’accueillir ce que Jésus désirait lui
donner en venant chez lui ?
Pour consentir à recevoir le don de
la miséricorde divine, il faut un cœur déjà rendu disponible et purifié par
l’humilité. C’est par ses pieds que Jésus se laisse approcher dans son humanité
et sa dépendance. A son humilité s’accorde celle de la femme qui baigne de ses
larmes ses pieds et les essuie de ses cheveux. A l’inverse de Simon qui reste à
distance en posant une sorte d’examen intellectuel critique sur les personnes
et le déroulement des événements, la femme, quant à elle, n’hésite pas à
risquer le contact avec Jésus parce qu’elle sait avoir besoin de la miséricorde
du Seigneur et qu’elle est sûre dans la foi de l’obtenir.
L’accueil d’un tel amour gratuit
pousse le pécheur pardonné à y répondre en aimant plus encore. Mais le pécheur
pardonné est toujours conscient que son amour en retour est celui-là même qui
lui vient de Dieu et qui lui a été donné de façon suréminente lorsqu’il a fait
l’expérience de sa miséricorde.
La gratuité de l’amour de Dieu
s’exprime encore dans le fait que son pardon ne se contente pas d’effacer notre
péché. Il opère en nous bien davantage. Il nous arrache à nos enfermements,
nous libère de nos chaînes, et nous propulse vers un nouvel avenir : « va ! »
Jésus ne met pas la main sur nous. Il nous invite à aller notre chemin
n’exigeant rien en retour si ce n’est que nous marchions dans la fidélité à la
grâce reçue. Voilà pourquoi, à la grâce de la rémission de nos péchés, il
ajoute celle de faire le bien : " Va en paix " (c'est-à-dire dans la
justice). Car si le péché est la guerre entre Dieu et l'homme, la justice est
la paix de l'homme avec Dieu. « Va en paix » pourrait aussi très bien se lire :
« Fais tout ce qui peut te conduire à la paix de Dieu. »
Entrons dans les gestes d’humilité
et les soins de repentir que la femme pécheresse prodigue à Jésus. Qu’ainsi
rendus disponibles à l’accueil de la miséricorde divine, nous puissions la
recevoir dans l’action de grâce et aimer toujours davantage notre Seigneur à
cause de la gratuité de son pardon.
« Père saint accorde-nous de
pouvoir, avec le psalmiste, “te rendre grâce en confessant nos péchés” (Ps 31),
et verser le parfum de notre amour sur les pieds de Celui qui nous annonce la Bonne Nouvelle de
notre réconciliation avec toi. En reconnaissant la grandeur de ta miséricorde,
nous pourrons alors “chanter notre allégresse” pour le salut que tu offres
gratuitement à “ceux qui comptent sur toi”. »
HOMELIE Lc 12, 39-48 au Carmel de
Boussu
« Vous aussi, tenez-vous prêts ». L’avertissement que nous adresse le Seigneur Jésus est très clair. Nous sommes dans la même position que ce maître de maison visité à l’improviste par un voleur. L’image est assez étrange, car si nous sommes le maître de maison qui veille sur son domaine, le Fils de l’Homme est alors le voleur qui perce le mur !
Un voleur perce en effet habituellement
le mur de la maison, au milieu de la nuit, pour prendre un bien précieux qu’il
convoite, mais qui ne lui appartient pas. Le Seigneur Jésus, Lui, vient
également au milieu de la nuit, mais - au contraire - Il prend un bien … qui Lui
appartient. Là est notre espérance et notre joie. L’homme en effet a fait un mauvais
choix : il a choisi de s’éloigner de Dieu, il a choisi de vivre sans Lui et de
s’enfoncer dans les ténèbres. Le voici à présent prisonnier d’une nuit qui
semble sans fin. Lui qui a été créé libre, pour aimer, est à présent esclave de
la mort. Mais
le Seigneur ne peut pas supporter de voir l’homme ainsi prisonnier, Il a donc
choisi de venir percer le mur de sa prison et de le soustraire à l’esclavage de
la mort.
Cet évangile est donc un
appel à nourrir notre espérance ; même si notre nuit semble ne jamais devoir
finir, nous savons désormais que le salut est proche, il adviendra au cœur de la nuit. Nous avons
tellement de prix aux yeux du Seigneur, qu’Il est prêt à percer les murs pour
nous rejoindre. Nous sommes le trésor, le diamant, la perle qu’Il désire et qu’Il
recherche.
Mais ce qui nourrit notre
espérance construit également notre responsabilité. Le voleur ne s’encombre
pas, il file vite dans la
nuit. Nous n’avons donc pas de temps à perdre pour mettre en
valeur chaque talent reçu. Tout ce qui sera terne en nous, sera laissé sur
place. Tel est le châtiment. Car même si nous vivons en exil, nous avons un
travail de préparation à effectuer pour le retour, la maison de notre âme doit
être bien gérée. Elle ne nous appartient pas et quand son maître viendra, il nous
faudra rendre compte de notre gestion.
La parabole fait bien
ressortir que l'administration des choses divines comme celle des biens de la
terre requière à la fois fidélité et prudence : fidélité au Maître dans la
fidélité aux dons et à la mission reçue de Lui ; prudence dans l’usage de ces
dons et dans l’exercice de cette mission.
Certes, il s’agit de
développer les dons reçus, mais l’intendant ne doit jamais oublier que c’est
pour le service de celles et ceux que le Maître lui a confiés. Tous, quelle que
soit notre vocation, nous nous sommes vus confier des dons à faire fructifier
dans une mission de service de la charité. Chacun de nous devra rendre compte de la
manière dont il s’est acquitté de sa responsabilité suivant la mesure de sa
prise de conscience de ce qu’était la volonté du Seigneur.
Seigneur Jésus, Tu es le bon
« voleur » que nous attendons de tout cœur; viens nous arracher au
pouvoir de la nuit que nous avons choisie. Renouvelle-nous dans les dons de Ton
Esprit, que nous sachions rester au travail de sanctification de notre âme le
jour et la nuit, que nous sachions vivre de Ton évangile à temps et à
contretemps, pour Te donner la joie de trouver radieux le trésor de notre âme,
le diamant resplendissant, la perle précieuse, le château intérieur que Tu désires
tant … pour y demeurer.
Mt 9, 32-38
« On présente à
Jésus un possédé qui était muet ». Il faut supposer que par son comportement
cet homme trahissait qu’il était sous l’emprise d’un démon, car tout muet n’est
pas forcément possédé. Dans les évangiles, les démons sont même plutôt loquaces,
au point que le Seigneur est obligé de leur imposer silence. Disons qu’ils parlent
pour dire ce qu’il ne faut pas, et se taisent - ou rendent muet - alors qu’il
faudrait s’exprimer.
Rien n’est dit sur
l’exorcisme ; l’évangéliste ne mentionne même pas que Jésus en soit l’auteur :
c’est le contexte qui nous le laisse supposer. Par contre le passif - « eut été
expulsé » - désigne Dieu comme sujet agissant dans la libération de cet homme.
C’est en effet le Père qui donne la parole, de sorte que « le muet se mit à
parler ».
Devant le prodige, les
avis se partagent : la louange de la foule se libère ; pleine d’admiration,
elle situe l’événement sur l’horizon de l’histoire du salut d’Israël et attribue
donc implicitement la délivrance au Seigneur des armées qui a délivré son
peuple de l’oppression égyptienne. Telle n’est cependant pas l’interprétation
des pharisiens, qui devraient pourtant être plus aptes à faire cette lecture,
en tant que spécialistes de la Torah. Leur explication est clairement orientée
en fonction de leurs aprioris négatifs envers le Rabbi de Nazareth dont la
renommée leur fait de l’ombre. Il est évidemment absurde de prétendre que «
c’est par le chef des démons que Jésus expulse les démons ». Si tel était le
cas, le Royaume du mal serait divisé en lui-même et serait près de sa chute, ce
qui est hélas loin d’être le cas. Le récit s’interrompt brutalement, nous
laissant sur l’impression de malaise suscité par la réaction hostile des
pharisiens, qui a dû jeter un voile sur la joie toute simple de la foule. Tout
se passe comme si l’exorcisme avait libéré la parole des petits mais enfermé
les sages dans un mutisme réprobateur qui éclate sous forme d’une accusation
mensongère présageant le pire.
Jésus, lui, ne se laisse
pas émouvoir : il continue son ministère de prédication itinérant, laissant
déborder sa tendresse compatissante en « guérissant toute maladie et toute infirmité
». Il sait aussi que peu de temps lui reste : la malveillance de ses détracteurs
va bientôt s’organiser efficacement pour mettre fin à son ministère - sans
savoir qu’en fait, ils vont permettre au Christ d’accomplir son œuvre de
Rédemption en voulant précisément l’en empêcher.
Dirigées par de tels
bergers qui revendiquent les honneurs d’un ministère qu’ils n’assument pas, on
comprend que « les foules étaient fatiguées et abattues ». Certes en Jésus,
elles ont trouvé « le vrai Berger ; mais c’est précisément parce qu’il est le «
Bon Berger qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11) que Notre-Seigneur
veut pourvoir à la relève, afin que le jour où il sera immolé, d’autres bergers
dignes de ce nom, prennent la suite. Voilà pourquoi il invite instamment ses disciples
à prier le Père d’envoyer des ouvriers à sa moisson. En associant le thème agraire
au thème pastoral, Jésus prépare la symbolique pascale : il est le bon berger
qui se fait agneau et il est le grain de blé jeté en terre qui porte du fruit
en abondance. Les deux thèmes convergent dans l’Eucharistie, mémorial de la
Pâque du Seigneur quotidiennement offert dans son Eglise - là du moins où les
ouvriers sont présents pour célébrer les Saints Mystères. L’urgence de la
prière de Jésus est plus que jamais d’actualité à l’heure où nos églises
ferment leurs portails, faute de pasteurs : « Priez donc le maître de la
moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ».
« Seigneur, il se
pourrait bien que nous ayons tous besoin d’être présentés à toi, pour que tu
chasses le démon qui nous rend muets et nous empêche de proclamer ta louange devant
nos frères. Non vraiment : “jamais rien de pareil à ton Eucharistie ne s’est vu
en Israël”, et pourtant, qui proclame ta gloire ? N’est-ce pas parce que nous
n’avons pas su suffisamment partager la beauté de ton message que les jeunes
générations quittent souvent nos assemblées et n’entendent plus l’appel du Bon
Berger à se mettre à sa suite au service du troupeau ? Prends pitié de nous,
Seigneur, pardonne-nous, convertis nos cœurs, pour que nous puissions être de
vrais témoins de ton amour, capables de transmettre le Feu de ton Esprit à tous
ceux qui sont en attente de ta Bonne Nouvelle. »
Mt 18, 21-35 ; 19,1
Un homme rejette la supplication de son compagnon
et le fait jeter en prison pour obtenir le remboursement de l’argent qu’il lui
doit. L’homme qui va en prison ne se lamente sans doute pas, il est traité
selon le droit. Cet épisode provoque pourtant la colère du maître et notre
surprise. Parce qu’un événement très important s’était produit juste avant :
cet homme est le serviteur d’un maître qui l’avait dispensé de payer pour une
dette énorme. Mais le serviteur semble l’avoir oublié, au point que le roi est
obligé de lui rappeler les faits : « Je t’avais remis toute cette dette, parce
que tu m’avais supplié ».
Le maître reprend alors la question au début. Non
pas en revenant sur son premier jugement, — sinon il aurait fait vendre, comme
de juste, l’homme, sa famille et tous ses biens —, mais en le livrant à la
souffrance temporaire. Ainsi, le maître choisit une peine éducative, pour que
le serviteur mesure dans sa chair le don que son maître lui fait et pour qu’il
agisse désormais en conséquence.
L’enseignement le plus essentiel de cette parabole
est finalement contenu dans ce qu’elle ne raconte pas. La première rencontre
entre le serviteur et le roi se termine en effet sur l’image du maître, saisi
de pitié, remettant la dette. On ne voit le serviteur ni se relever, ni
remercier, ni exulter. La leçon nous rejoint droit au cœur. Cet événement
extraordinaire est donc passé inaperçu dans la vie du serviteur, car il n’a pas
su rendre grâce, il n’a pas su se l’approprier dans la louange, il a négligé de
l’enraciner dans son cœur par l’action de grâce. Et le voici retourné à sa vie
quotidienne, sans que rien ne soit transformé. Et sans qu’il puisse transformer
la vie des autres.
La question de saint Pierre est donc mal posée. Il
ne s’agit pas de savoir combien de fois il est juste de pardonner. La question
est de savoir ce qui est en jeu dans les événements que nous vivons. Si nous
savons accueillir dans l’action de grâce le don qui nous est fait, il portera
des fruits de charité et de miséricorde ; si nous préférons mener notre
quotidien sans faire l’effort de réaliser ce que nous vivons avec le Seigneur,
il devra pédagogiquement nous faire sentir le poids de ce qui est dû suite des
événements pénibles de notre vie.
Que le Seigneur par la force de son Esprit, nous
donne de percevoir la grandeur des cadeaux de roi, qui nous sont faits dans les
sacrements de l’Église et qu’il nous permette de les faire fructifier dans
notre vie carmélitaine par l’action de grâce, car cela invite à aimer et à
pardonner soixante-dix fois sept fois.
« Seigneur, aide-nous à entrer sur ce chemin de la
miséricorde. Puissions-nous recevoir chacune des offenses qui nous sont faites
comme une occasion de témoigner par notre pardon de quel amour tu nous as aimé,
de quelle dette tu nous as acquittés et de quelle liberté nous jouissons désormais.
Nous manifesterons alors que nous n’avons pas pour père le malin qui veut nous
asservir à la loi mortifère de la haine, la vengeance et du péché, mais que
nous sommes les filles du Très-Haut qui dispense la vie éternelle à celles qui
l’aiment. »
La symbolique des chiffres utilisés ici nous
rappelle un passage du livre de la Genèse où nous entendons Lamek qui s’exprime
ainsi devant ses femmes Ada et Cilla : « J’ai tué un homme pour une blessure,
un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn est vengé sept fois, mais
Lamek, soixante-dix sept fois » (Gn 4, 23-24). L’hagiographe nous met là,
devant la réaction première de tout homme face au mal qui lui est infligé : la
vengeance, qui ne tarde pas à prendre des proportions démesurées.
Un peu plus loin, dans le livre de l’Exode, la loi
du talion voudra limiter le déchaînement de la passion vengeresse de l’homme et
mesurer la juste compensation d’une offense : « Vie pour vie, œil pour œil,
dent pour dent, main pour main, pied pour pied » (Dt 19, 21). Un œil (et non
pas deux !) pour un œil ; une dent (et non pas la mâchoire !) pour une dent
abîmée.
Mt 19, 3-12
Si l’homme et la femme sont créés (littéralement) « mâle et femelle », leur union est cependant bien davantage qu’une action instinctive destinée à assurer la survie de l’espèce. Il s’agit d’un acte de liberté en réponse au commandement divin. En tant que telle, l’union matrimoniale scelle une alliance avec Dieu, dont les modalités ne sont pas laissées à l’arbitraire des hommes, mais sont fondées dans sa Parole.
La réaction désabusée des disciples qui estiment que dans ces conditions il vaut mieux ne pas se marier, permet à Jésus de souligner la valeur du célibat, à condition qu’il soit intentionnellement choisi dans la perspective du Royaume. La circoncision du cœur, la pureté de l’intention, incarne la seule attitude juste face à Dieu et à sa Parole, la condition préalable à la réalisation de tout état de vie, y compris du mariage, qui ne peut se recevoir, tout comme le célibat consacré, que comme un don : « Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! ».
Seigneur Jésus, donne-nous ton Esprit de sainteté, que nous sachions couper avec tous les raisonnements superficiels du monde, que nous apprenions à lire la Parole comme elle se donne : nous voulons être de ceux qui « peuvent comprendre » pour comprendre le bonheur qu’il y a à te suivre jusqu’à se donner soi-même, au Carmel où que tu nous as appelé.»
Mais une telle codification, si elle est déjà un
progrès dans la compréhension de la justice, ne saurait être assez puissante
pour éliminer tout désir de vengeance du cœur d’un homme. Jésus va bien au-delà
de cela. En appelant à pardonner jusqu’à soixante-dix fois sept fois, il
affirme que l’on doit pardonner indéfiniment. Autrement dit, le pardon ne
saurait être refusé à qui que ce soit.
La parabole que Jésus donne pour expliciter son
commandement est éclairante. La mise en scène a bien sûr pour but de faire
apparaître en pleine lumière la démesure de la miséricorde dont fait preuve le
roi, qui accorde bien plus que ce que son débiteur lui demandait. En effet, «
ému jusqu’aux entrailles », le roi devenu le « maître », non seulement « laisse
partir » son serviteur, c'est-à-dire renonce à le vendre, mais il lui remet sa
dette infinie (Dix mille talents, soit soixante millions de deniers qui auraient
correspondu, à l’époque de Jésus, à soixante millions de journées de travail).
Quel contraste entre l’attitude du maître envers
ce serviteur et celle de ce dernier envers son compagnon endetté, d’autant plus
que celui-ci ne lui doit qu’une somme insignifiante (six cent mille fois moins)
en comparaison de celle dont il vient lui-même d’être acquitté !
Tout vient du fait que le serviteur a oublié la
gratuité du don de la miséricorde dont il a bénéficié. Qu’il n’ait même pas
songé à remercier son maître après la remise de sa dette en témoigne.
Au
contraire de ce serviteur, garder présent à notre conscience la gratuité du don
du salut dont le Père nous a fait bénéficier en son Fils Jésus-Christ devrait
nous conduire à une attitude de miséricorde inconditionnelle envers nos frères
humains, quelle que soit leur dette envers nous. Comme nous le rappelle
Jean-Paul II : « Le pardon est avant tout un choix personnel, une option du
cœur qui va contre l'instinct spontané de rendre le mal pour le mal. Cette
option trouve son élément de comparaison dans l'amour de Dieu, qui nous
accueille malgré nos péchés, et son modèle suprême est le pardon du Christ qui
a prié ainsi sur la Croix: ‘Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu'ils
font’ (Lc 23, 34) » (Message pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier
2002).
Mt 19, 3-12
La question des pharisiens
est un piège subtil ; ils tentent d’entraîner le Rabbi de Nazareth, le bon
Jésus, dans un débat d’école qui l’amènerait inévitablement à se faire des
ennemis dans le parti dont il n’épouserait pas l’opinion.
Notre-Seigneur ne se laisse
pas entraîner sur le terrain conflictuel des interprétations humaines de la Loi
: il ramène ses interlocuteurs à l’essentiel. La question portait sur les
motifs pour lesquels le mari pouvait répudier son épouse, mais Jésus conteste
le présupposé du débat, à savoir la possibilité même de la répudiation.
Pour argumenter sa position,
Notre Seigneur se réfère au récit de la création, c'est-à-dire au projet de
Dieu sur l’homme et la femme. Il veut ainsi conduire ses interlocuteurs à
chercher les normes de l’agir humain, dans le dessein de son Père, tel qu’il
transparaît dans l’acte créateur.
Or, la différence sexuelle
entre l’homme et la femme est comme un signe et un appel. Un signe de leur
incomplétude ; un appel à unir leur complémentarité en une communion féconde.
Voilà pourquoi : « L’homme s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus
qu’un.
Cette conclusion est mise par
Jésus sur les lèvres de Dieu lui-même, qui explicite par ces mots l’intention
qui a présidé à l’acte créateur. Il ne s’agit pas d’une description ou d’une
interprétation, mais d’un ordre : c’est une loi que Dieu édicte.
Si l’homme et la femme sont créés (littéralement) « mâle et femelle », leur union est cependant bien davantage qu’une action instinctive destinée à assurer la survie de l’espèce. Il s’agit d’un acte de liberté en réponse au commandement divin. En tant que telle, l’union matrimoniale scelle une alliance avec Dieu, dont les modalités ne sont pas laissées à l’arbitraire des hommes, mais sont fondées dans sa Parole.
L’homme et de la femme
librement s’engagent l’un envers l’autre en réponse à l’appel de Dieu. Et comme
Dieu se « com-promet » avec eux dans cette Alliance de manière
indéfectible, on comprend que Jésus puisse conclure : « Donc, ce que Dieu a
uni, que l’homme ne le sépare pas ».
La référence aux prescriptions de Moïse, est l’occasion pour Jésus de dénoncer
la « sclérose » du cœur de ses interlocuteurs. La conséquence première du péché
des origines fut de « pétrifier » notre cœur, nous rendant incapables d’aimer
dans la durée et dans la fidélité. Mais le péché ne peut annuler.
la parole du Créateur ; par
le sacrement du mariage, l’Esprit Saint vient « liquéfier » le cœur de pierre
des époux, et leur donne une capacité nouvelle d’aimer, dans la loyauté à la
parole donnée.
La réaction désabusée des disciples qui estiment que dans ces conditions il vaut mieux ne pas se marier, permet à Jésus de souligner la valeur du célibat, à condition qu’il soit intentionnellement choisi dans la perspective du Royaume. La circoncision du cœur, la pureté de l’intention, incarne la seule attitude juste face à Dieu et à sa Parole, la condition préalable à la réalisation de tout état de vie, y compris du mariage, qui ne peut se recevoir, tout comme le célibat consacré, que comme un don : « Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! ».
« Dieu qui est bon et
tout-puissant, restaure les époux chrétiens à ton image, et renouvelle les dans
l’onction du sacrement de leur mariage, afin qu’ils puissent progresser dans la
paix et la joie sur le chemin de la ressemblance, selon ton dessein de sainteté
à leur égard.
Seigneur Jésus, donne-nous ton Esprit de sainteté, que nous sachions couper avec tous les raisonnements superficiels du monde, que nous apprenions à lire la Parole comme elle se donne : nous voulons être de ceux qui « peuvent comprendre » pour comprendre le bonheur qu’il y a à te suivre jusqu’à se donner soi-même, au Carmel où que tu nous as appelé.»
La question du divorce
donnait lieu à de vifs débats entre les écoles rabbiniques. Aussi n’est-il pas
surprenant que quelques pharisiens viennent trouver Jésus pour lui poser la
question : « Est-il permis de renvoyer sa femme pour n'importe quel motif ? ».
Il est difficile de résumer
en quelques mots la teneur des débats de l’époque. Il est vrai que le divorce
est permis dans le livre du Deutéronome, mais il n’en n’est pas question dans
les dix commandements. Les interprétations sont donc variées et ont changé au
fil des siècles. Certains n’admettaient le divorce qu’en cas « d’indécence »
avérée, mais d’autres le considéraient possible « pour n’importe quel motif ».
C’est sur ce point que Jésus est interrogé : que le divorce soit permis et
pratiqué, personne n’en doutait, mais dans quelles conditions ?
Jésus, à son habitude, ne se laisse pas
enfermer dans les faux débats et repose la question dans son fondement. « Au
commencement (c'est-à-dire dans le livre de la Genèse), le Créateur les fit
homme et femme » et « tous deux ne feront plus qu’un ». Donc l’homme,
c'est-à-dire le mari, le seul selon le droit juif à disposer du droit de
divorcer, n’a pas le pouvoir de séparer « ce que Dieu a uni ». Le mariage est
en soi indissoluble.
Les pharisiens réagissent : «
Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit la remise d'un acte de divorce avant la
séparation ? ». Ils s’appuient sur la conviction qu’une prescription est un
ordre, et que Moïse est bien le législateur choisi par Dieu. Mais Jésus nie la
qualité de loi, il rappelle qu’il s’agit une simple permission : « Moïse vous a
concédé ». Moïse a dû s’adapter car la dureté de cœur de ses frères ne
permettait pas d’en obtenir davantage. Mais Moïse a pris la précaution d’exiger
un acte de répudiation qui protége la femme ; sans cela elle restait soupçonnée
d’adultère et ne pouvait se remarier. Mais pour Jésus, répudier sa femme est se
mettre en situation d’adultère.
Les disciples entrent alors en scène en posant une question un rien
impertinente, sous-entendant que l’attrait pour le mariage serait lié à la
possibilité de divorcer ! Jésus saisit l’occasion de parler d’un célibat
délibéré. Il s’agit d’une grande nouveauté. Il existait (même au sein du
judaïsme) des croyants qui choisissaient de ne pas se marier (on pense à Qûmran
par exemple), mais dans le monde antique les motivations de ces croyants
étaient liées à la pureté du rite religieux ou à la volonté de se séparer des
femmes. Mais Jésus présente une nouvelle façon de faire ce choix : « à cause du
Royaume des cieux ». Jésus dévoile
donc une possibilité d’anticiper le Royaume, de vivre un état de perfection qui
est celui de la résurrection. Ce choix est déroutant car gratuit : seuls ceux à
qui cela est donné le comprendront, et ceux qui le choisiront le feront
seulement (mais ça n’est pas rien) « pour le Royaume ». Aucune autre
motivation.
Cette ouverture surnaturelle
est la vraie réponse de Jésus aux débats évoqués. Les pharisiens ne savent pas
interpréter la Parole de Dieu car les hommes souffrent d’endurcissement du cœur
; les disciples ne comprennent pas comme il convient la grâce du mariage sans
doute pour les mêmes raisons. Mais la Loi de Dieu est plus simple que toutes
les casuistiques : Dieu se donne. Le mariage est un don de Dieu, le célibat en
vue du Royaume est un don de Dieu. À nous de préparer nos cœurs pour savoir
reconnaître le don particulier que Dieu nous fait !